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Une procédure d’alerte non fondée peut-elle justifier le relèvement du commissaire aux comptes ?

Une procédure d’alerte qui a été déclenchée par un commissaire aux comptes, en présence de prélèvements au caractère inquiétant opérés par le dirigeant, dans un contexte de cessation d’activité du fait de la crise sanitaire pendant laquelle un prêt garanti par l’État (PGE) a été accordé, et qui se révèle, par la suite, non fondée ne peut pas justifier le relèvement du commissaire aux comptes.

Les faits : pendant la crise sanitaire, le dirigeant d’une société a effectué des prélèvements d’une importance telle qu’ils pouvaient compromettre la continuité de l’exploitation, ce qui a amené le commissaire aux comptes à déclencher une procédure d’alerte

Dans un contexte de crise sanitaire pendant laquelle la société A a dû mettre en place un prêt garanti par l’État (PGE) et recourir à des allocations publiques au titre de l’activité partielle, son dirigeant (également associé de la société B), Monsieur X, a continué à effectuer des prélèvements importants, correspondant à ses rémunérations et à des acomptes sur dividendes. Estimant que ces faits étaient de nature à compromettre la continuité de l’exploitation, le commissaire aux comptes de la société A, qui certifie aussi les comptes de la société B, a déclenché une procédure d’alerte et a procédé à une révélation de faits délictueux au procureur de la République.

Le 26 août 2020, les sociétés A et B, ainsi qu’une autre société contrôlée par le commissaire aux comptes, ont assigné ce dernier en référé devant le tribunal de commerce de Nice en vue d’obtenir sa révocation. Elles considéraient, notamment, que la démarche du CAC n’était pas fondée. Les demanderesses se sont désistées de cette instance en raison d’un vice de forme puis, le 16 septembre 2020, elles ont à nouveau fait assigner le commissaire aux comptes, aux mêmes fins et devant le même tribunal, cette fois-ci selon la procédure accélérée au fond.

Le 13 octobre 2020, Monsieur X, en qualité d’associé des sociétés A et B, et Monsieur Y, en qualité d’associé de la troisième société, ont fait assigner le CAC devant le même tribunal, selon la même procédure, afin d’obtenir sa révocation, en visant par erreur l’article L. 823-1 du code de commerce au lieu de l’article L. 823-7 (ndlr : ces deux articles du code de commerce figurent sous le même chapitre, en l’occurrence consacré à la nomination, la récusation ou la révocation du CAC mais l’article L. 823-7 traite spécifiquement du relèvement de fonctions en cas de faute ou d’empêchement du CAC).

Suivant ordonnance de référé (sic) (voir ci-après) en date du 28 décembre 2020, le président du tribunal de commerce niçois a relevé, avec effet immédiat, le commissaire aux comptes de ses fonctions dans les trois sociétés demanderesses et l’a condamné à rembourser les honoraires au titre de la mission exercée pour l’année 2019-2020. Le CAC a fait appel de cette décision et la cour d’appel d’Aix-en-Provence a infirmé le jugement prononcé en première instance.

Les règles procédurales pour intenter une action en relèvement de fonctions contre le CAC n’ont pas été respectées

Le déclenchement de la procédure d’alerte par le commissaire aux comptes et, a fortiori, une révélation au procureur de la République de faits délictueux sont, souvent, mal compris et mal vécus par le dirigeant de la société contrôlée.

Il peut, alors, arriver que le dirigeant engage contre le CAC une action en relèvement de fonctions. Mais, en l’espèce, plusieurs erreurs ont été commises sur le plan procédural, tant par les demandeurs que par le président du tribunal de commerce.

Les sociétés contrôlées ne pouvaient pas être à l’origine de l’action en relèvement

En cas de faute ou d’empêchement, le commissaire aux comptes ne peut être relevé de ses fonctions que sur décision de justice, à la demande de l’organe collégial chargé de l’administration, de l’organe chargé de la direction, d’un ou plusieurs actionnaires ou associés représentant au moins 5 % du capital social, du comité d’entreprise, du ministère public ou, pour certaines sociétés, de l’Autorité des marchés financiers (AMF) (c. com. art. L. 823-7, al. 1er). C’est donc à bon droit que le CAC a soulevé l’irrecevabilité des actions diligentées par les sociétés elles-mêmes.

L’action intentée par Monsieur Y ne pouvait qu’être déclarée irrecevable

Monsieur Y n’a fourni aucun élément sur son capital social dans les sociétés demanderesses, et n’a donc pas justifié détenir au moins les 5 % requis pour pouvoir intenter une action en relèvement de fonctions contre le CAC (voir ci-avant). Son action est donc déclarée irrecevable.

Monsieur X a agi contre le CAC et non contre la société auprès de laquelle le CAC a été désigné (société A).

Monsieur X aurait dû agir contre la personne ou l’entité auprès de laquelle le CAC a été désigné (société A) (c. com. art. R. 823-5, al. 1er), ce qui n’a pas été le cas. Cependant, la cour d’appel a rattrapé cette carence avec indulgence en relevant que ladite société était intervenue volontairement à la cause et qu’elle devait, par conséquent, être considérée comme présente à la procédure et donc en mesure de présenter ses observations sur la demande de relèvement.

Le tribunal de commerce de Nice a été appelé à statuer en la forme des référés et non selon la procédure accélérée au fond

 Les demandeurs ont assigné le commissaire aux comptes devant la juridiction consulaire, appelée à statuer « en la forme des référés ». Or, depuis le 1er janvier 2020, cette procédure a été renommée « accélérée au fond ». Ainsi, pour le relèvement de fonctions du CAC demandé en août 2020, le président du tribunal aurait dû se prononcer selon la procédure accélérée au fond (c. com. art. R. 823-5, al. 1er) et rendre un jugement constituant une décision de fond, exécutoire de plein droit à titre provisoire (CPC art. 481-1, 6°), et non une ordonnance.

Bien que la procédure d’alerte se soit révélée non fondée, comme le CAC n’a pas eu l’intention de nuire, il ne peut pas être relevé de ses fonctions

Le tribunal de commerce de Nice avait considéré comme des agissements fautifs les modalités d’ouverture de la procédure d’alerte, en l’espèce l’absence de dialogue et de mise en garde du dirigeant (Monsieur X), et la démarche du commissaire aux comptes infondée.

La cour d’appel d’Aix-en-Provence a, au contraire, infirmé ce jugement, rappelant qu’il existait un dialogue jusqu’en juin 2020 entre le commissaire aux comptes, d’une part et, d’autre part, l’avocat et l’expert-comptable de l’intéressé, intéressé qui n’a pas émis, avant l’ouverture de la procédure d’alerte, la volonté de mettre fin à ses prélèvements et qui n’a pas retiré le courrier recommandé qui lui avait été adressé pour l’informer de la procédure envisagée et pour recueillir ses observations.

En outre, la cour d’appel a estimé que, si la procédure d’alerte s’est révélée non fondée puisque les comptes ont établi, par la suite, que la société A était en mesure de continuer son activité malgré les prélèvements opérés par Monsieur X, elle ne peut être considérée comme dictée par une intention de nuire ou par une volonté malveillante de la part du CAC. En effet, au moment où l’alerte a été déclenchée, il existait des motifs sérieux de doute sur la continuité de l’exploitation. Même l’expert-comptable de la société avait, par courriel, manifesté son inquiétude relative à l’importance des prélèvements opérés.

Par conséquent, le caractère non fondé de la procédure d’alerte ne constituant pas une faute d’une particulière gravité (contrairement à l’intention de nuire), il ne peut pas justifier une mesure de relèvement du commissaire aux comptes. Bien que le code de commerce n’ait pas précisé, sous son article L. 823-7, la nature de la faute qui devait être commise par le commissaire aux comptes pour pouvoir entraîner le relèvement de ses fonctions, il ressort de l’arrêt rendu par la cour d’appel que la faute ne peut pas être une simple faute de négligence, source de responsabilité civile.

La révélation au procureur de la République de l’importance des prélèvements effectués dans un contexte de cessation d’activité est justifiée

À l’appui de son action en relèvement, Monsieur X soutenait également que le commissaire aux comptes n’aurait pas dû effectuer une révélation au procureur de la République, thèse admise par le juge consulaire qui avait considéré qu’une « grave anomalie » avait, ainsi, été commise.

Cette opinion n’est pas partagée par la cour d’appel, qui relève que les prélèvements opérés par le dirigeant avaient un caractère inquiétant et qu’ils avaient d’ailleurs été relevés depuis un certain temps par l’expert-comptable (voir ci-avant) et le conseil (l’avocat) de l’intéressé.

L’arrêt rappelle, à juste titre, le rôle que jouent les commissaires aux comptes « en matière de protection du monde économique ».

CNCC, Décision commentée, Cour d’appel d’Aix-en-Provence – Ch. 3-1 – 17 juin 2021 – n° RG 21/00961, octobre 2021

Source : La Revue Judiciaire