Face aux difficultés d’une société, un gérant peut être tenté de se faire rembourser son compte courant d’associé. Deux affaires récemment jugées par la Cour de cassation permettent d’évaluer les risques que comporte un tel remboursement.
Cass. com. 20 octobre 2021, n° 20-11095 ; cass. com. 20 octobre 2021, n° 20-15736
Remboursement du compte courant d’associé : les principes à connaître
Remboursement à tout moment…
Tout associé est, en l’absence de dispositions contraires, en droit d’exiger à tout moment le remboursement de son compte courant (cass. civ., 3e ch., 3 février 1999, n° 97-10399).
Exception : convention de blocage. Une avance en compte courant peut être assortie d’un engagement de l’associé de ne pas demander le remboursement des sommes pendant un temps déterminé.
…sauf en cas de procédure collective
Si la société est mise en redressement judiciaire ou en liquidation judiciaire, l’associé ne peut plus demander le remboursement de son compte courant, il doit alors déclarer sa créance, comme le fait n’importe quel autre créancier (c. com. art. L. 622-24, al. 1, L. 631-14, al. 1 et L. 641-3, al. 4).
Dans cette hypothèse, l’associé ne sera effectivement remboursé qu’après les créanciers privilégiés et si les finances de la société le permettent.
Remboursement du compte courant du gérant avant l’ouverture d’une procédure collective
1re affaire : une faute de gestion peut-elle être reprochée au gérant ?
Remboursement du compte courant quatre mois avant la cessation des paiements
Dans une première affaire soumise récemment à la Cour de cassation, le gérant et associé d’une SARL avait procédé au remboursement de son compte courant le 19 décembre 2014.
La société avait ensuite été mise en liquidation judiciaire le 12 mai 2015.
La date de cessation des paiements, c’est-à-dire la date à laquelle la société ne pouvait plus faire face à son passif exigible avec son actif disponible, avait alors été fixée au 28 avril 2015, soit après le remboursement des sommes apportées en compte courant.
Le risque d’une condamnation pécuniaire existe
Le liquidateur judiciaire reprochait au gérant d’avoir procédé au remboursement de son compte courant d’associé pour privilégier sa situation personnelle, alors qu’il connaissait les difficultés financières de la société et particulièrement sa situation de trésorerie.
Selon lui, ce remboursement constituait une faute de gestion ayant contribué à l’insuffisance d’actif de la société. Une telle faute pouvant être sanctionnée par la condamnation du dirigeant à prendre en charge tout ou partie du passif de la société (c. com. art. L. 651-2), le liquidateur réclamait cette condamnation.
La cour d’appel a rejeté la demande du liquidateur en soulignant que, lorsque le gérant avait procédé au paiement de son compte courant, les comptes bancaires de la société étaient créditeurs d’une somme supérieure au montant du remboursement.
Cette décision est censurée par la Cour de cassation : le fait que la société dispose de liquidités bancaires supérieures au montant du compte courant à rembourser est sans incidence sur l’éventuelle faute du gérant (cass. com. 20 octobre 2021, n° 20-11095).
La Cour de cassation renvoie donc l’affaire devant une nouvelle cour d’appel pour qu’elle soit jugée à nouveau. Les juges de renvoi devront ainsi répondre à l’argument du liquidateur et rechercher si le gérant a effectué le remboursement en parfaite connaissance des difficultés financières de la société, afin de privilégier sa situation personnelle.
A noter :
La Cour de cassation a déjà eu l’occasion de valider :
2nde affaire : une faillite personnelle peut-elle être prononcée à l’encontre du gérant ?
Fautes sanctionnées par la faillite personnelle
Un tribunal peut prononcer la faillite personnelle du dirigeant, de droit ou de fait, notamment pour :
- avoir détourné ou dissimulé tout ou partie de l’actif ou frauduleusement augmenté le passif de la personne morale (c. com. art. L. 653-4, 5°) ;
- avoir payé, après la cessation des paiements de la société et en connaissance de cause de celle-ci, un créancier au préjudice des autres créanciers (c. com. art. L. 653-5, 4°).
La faillite personnelle emporte interdiction de gérer toute entreprise commerciale (c. com. art. L. 653-2).
Le risque d’une faillite personnelle est écarté
Dans une seconde affaire soumise à la Cour de cassation, un gérant de SARL avait effectué le remboursement de son compte courant d’associé le 10 mars 2015. Par la suite, la société avait été mise en liquidation judiciaire et les juges avaient fixé au 13 juin 2015 la date de sa cessation des paiements.
Le parquet avait alors demandé que la faillite personnelle soit prononcée à l’encontre du gérant. Selon le procureur, le gérant n’avait pu ignorer que le remboursement de son compte courant entraînerait de manière inéluctable la cessation des paiements.
Le tribunal de commerce, puis la cour d’appel, ont considéré que le remboursement du compte courant pouvait s’analyser en un paiement préférentiel réalisé au détriment des autres créanciers de la société. Ils ont conclu que ce remboursement constituait un détournement d’actif. Le tribunal de commerce a prononcé la faillite du gérant pour une durée de 5 ans, ramenée à 18 mois par la cour d’appel.
Cette décision est censurée par la Cour de cassation : le remboursement du compte courant qui correspond au paiement d’une dette de la société ne peut pas être qualifié de détournement d’actif. En outre, il ne constitue pas non plus un paiement préférentiel au profit d’un créancier étant donné que ce remboursement a été effectué avant l’état de cessation des paiements de la société (cass. com. 20 octobre 2021, n° 20-15736).
L’ESSENTIEL La demande de remboursement d’un compte courant d’associé peut, en principe, être effectuée à tout moment,Ce remboursement est toutefois impossible lorsque la société est en procédure collective,Le remboursement du compte courant du gérant peut constituer une faute de gestion même si la société dispose encore de liquidités après ce remboursement,Le remboursement d’un compte courant, réalisé avant la cessation des paiements de la société, ne peut pas être qualifié de détournement d’actif. |
Source : La Revue Judiciaire – 18/11/2021