En refusant de constater une prestation de services distincte de la simple concession de licences de brevets et marques, le juge de l’impôt exclut les redevances de concessions du champ d’application du dispositif anti-abus codifié à l’article 155 A du CGI.
CE 5 novembre 2021, n° 433367
Les faits
M. et Mme O, créateurs de produits parapharmaceutiques à base d’huiles essentielles, ont cédé les marques et les brevets de cette gamme à la société de droit britannique A pour 50 000 €. Le lendemain, celle-ci a conclu un contrat de licence exclusive avec la société de droit belge B, représentée par Mme O et dont 51,6 % du capital était détenu par le couple.
Le contrat de concession stipulait le versement par la société B à la société A de redevances trimestrielles d’un montant égal à 3 % du chiffre d’affaires réalisé sur les ventes des produits commercialisés sous ces marques et des produits fabriqués au moyen des brevets concédés.
À la suite d’un contrôle fiscal, l’administration a estimé que ces redevances devaient être regardées comme la rémunération d’un service de gestion de portefeuille de marques et brevets, consistant en leur entretien, dépôt, extension et renouvellement, et que ce service avait été réalisé essentiellement par Mme O. Elle a, par suite, imposé les redevances versées par la société B à la société A entre les mains de M. et Mme O, sur le fondement de l’article 155 A du CGI.
Rappelons que selon ce dispositif, sont susceptibles d’être imposées en France les sommes perçues par une personne domiciliée/établie hors de France en rémunération de services rendus par une personne domiciliée/établie en France, lorsque (CGI art. 155 A, I) :
- la personne établie hors de France contrôle directement ou indirectement la personne qui perçoit la rémunération des services,
- ou qu’il n’est pas établi que la personne établie hors de France exerce, de manière prépondérante, une activité industrielle ou commerciale, autre que la prestation de services,
- ou que la personne percevant la rémunération des services est miciliée ou établie dans un État étranger ou un territoire situé hors de France où elle est soumise à un régime fiscal privilégié au sens mentionné à l’article 238 A du CGI.
La décision
Une redevance de concession d’exploitation n’est pas une prestation de service
Le Conseil d’État juge que les redevances versées en contrepartie de la concession du droit d’exploiter une licence de marques et brevets ne peuvent pas être regardées comme la contrepartie d’un service rendu au sens de l’article 155 A du CGI (CE 5 novembre 2021, n° 433367). Ce faisant, le Conseil d’État retient le raisonnement exposé dans ses conclusions par la rapporteure publique Mme Émilie Bokdam-Tognetti, selon lequel « si la concession de licences de marques, brevets ou logos présente, pour le concessionnaire qui entend les exploiter commercialement, une utilité et une valeur économiques, le concédant ne saurait pour autant être regardé, en autorisant son concessionnaire à exploiter sa marque ou son brevet, comme rendant à celui-ci un service dont les redevances seraient la rémunération ».
En outre, le Conseil d’État précise que l’entretien, le renouvellement, l’extension des marques et brevets et, plus généralement, l’accomplissement des actes nécessaires au maintien de leur protection ne peuvent pas être regardés comme une activité dissociable de la concession même de ces licences de marques et brevets.
A noter :
Dès lors, le dispositif anti-abus codifié à l’article 155 A du CGI n’est pas applicable et ne peut pas servir de fondement au redressement.
Indépendance des qualifications pénale et fiscale
La lecture des conclusions de la rapporteure publique nous éclaire également sur un autre point qu’il est intéressant de rappeler.
Dans cette affaire, le juge judiciaire a condamné les intéressés pour fraude fiscale. D’un point de vue pénal, il a été matériellement constaté que Mme O intervenait concrètement dans la gestion des marques et brevets concédés et donnait des directives sur la conduite à tenir pour leur dépôt et leur protection, qu’elle se comportait en véritable gestionnaire de la société britannique et que celle-ci était une coquille vide.
En revanche, la rapporteure rappelle que le juge pénal ne s’est pas expressément prononcé sur l’objet des rémunérations versées en exécution du contrat et que, en tout état de cause, les qualifications retenues par le juge judiciaire à partir des faits constatés ne lient pas le juge de l’impôt.
L’ESSENTIEL
- Pour que le dispositif de lutte contre l’évasion fiscale prévu par l’article 155 A s’applique, il faut, d’une part, que les sommes versées à l’entité étrangère rémunèrent un service rendu et, d’autre part, que ce service ait été rendu non par cette entité étrangère, mais par une personne domiciliée en France,
- L’article 155 A du CGI ne vise pas toute activité économique, mais exclusivement les rémunérations versées en contrepartie de services rendus,
- Les redevances rémunérant le droit d’exploiter à titre exclusif les marques et brevets ne peuvent pas être regardées comme rémunérant des prestations de gestion du portefeuille de ces marques et brevets, dissociables de la concession de ces marques et brevets.
Source : La Revue Judiciaire – 09/12/2021