Les faits. Deux sociétés du groupe Eiffage cèdent à la société Pyramide l’intégralité de leurs parts dans la société Dagand représentant la totalité du capital social de cette société. Celle-ci est ensuite dissoute avec transmission universelle de son patrimoine à la société Pyramide. Il s’avère que l’un des préposés de la société Dagand avait commis des faits délictueux d’entente illicite pour lesquels il est condamné pénalement. La société Pyramide, venant aux droits de la société Dagand, est condamnée au paiement de dommages et intérêts en qualité de civilement responsable. Considérant que les sociétés Eiffage avaient sciemment dissimulé les litiges en cours, la société Pyramide les assigne en paiement de dommages et intérêts
La décision. La cour d’appel de Bordeaux retient la responsabilité des sociétés Eiffage et donne droit à certains chefs de la réclamation mais refuse d’accueillir celle concernant l’indemnisation du temps passé par le gérant de la société pour gérer ce litige. Elle considère qu’une telle gestion rentre dans les attributions et fonctions normales d’un chef d’entreprise et ne doit donc pas donner lieu à indemnisation. La société Pyramide intente un pourvoi et obtient satisfaction, au moins sur ce point, au motif que « l’obligation pour le dirigeant de consacrer du temps et de l’énergie au traitement de procédures contentieuses au détriment de ses autres tâches de gestion et de développement de l’activité de la société cause un préjudice à cette dernière ».
Commentaires. Cette décision rendue un mois après celle du 10 mars 2016, qui avait conclu « que la mobilisation de salariés pour la réparation de dommages causés à l’entreprise par un tiers constitue un préjudice indemnisable » (voir L’Expert n° 103), en est un prolongement logique. La Cour de cassation admet que le chef d’entreprise qui a passé une part importante de son temps et de son énergie à défendre les intérêts de sa société à l’occasion d’un litige, au lieu de consacrer ce temps à des démarches prospectives et commerciales, l’a fait inévitablement au détriment du développement de son entreprise et que celle-ci ne peut qu’en avoir subi un préjudice.
Trois remarques semblent s’imposer à la suite de cette décision.
- Il est constant qu’il revient à la victime de démontrer l’existence du préjudice dont elle demande indemnisation : en l’occurrence, on peut s’interroger sur les moyens que pourra utiliser le lésé pour prouver l’existence d’un tel préjudice (il ne suffit pas qu’il soit seulement probable…).
- Le lésé doit de plus démontrer l’étendue de son préjudice et, là aussi, la démonstration de l’étendue de ce préjudice nous semble des plus délicates, sauf à démontrer, par exemple, la perte d’un marché qui paraissait pouvoir être remporté : une perte de chance serait alors indemnisable. Dans d’autres cas, il est à craindre que l’indemnisation prenne une forme purement forfaitaire avec le côté arbitraire que cela peut impliquer.
- Enfin, s’il est concevable que le chef d’entreprise s’investisse personnellement dans la gestion d’un litige dans une petite structure dépourvue de personnel dévolu à cette tâche, il paraît peu probable qu’une décision comparable puisse être rendue au bénéfice d’une entreprise d’envergure dotée de services juridiques et/ou contentieux.
Source : Michel Lefebvre, L’Expert n° 106 2ème trimestre 2017