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Le régime spécial des fusions conditionné par la souscription de tous les engagements

L’obligation pour la société confondante de respecter, dans l’acte de dissolution, les engagements prévus à l’article 210 A, 3 du CGI pour bénéficier du régime spécial des fusions ne peut faire l’objet d’aucune dérogation, y compris lorsque leur souscription est dénuée d’intérêt au regard des éléments d’actif et de passif de la société confondue.

Modalités d’application du régime spécial des fusions aux TUP

En principe, une opération de fusion est considérée comme une cessation d’entreprise. Elle entraîne donc, à l’égard de la société absorbée, toutes les conséquences d’une dissolution de société, se traduisant notamment par l’imposition immédiate de l’ensemble des bénéfices non encore taxés, y compris les plus-values constatées lors de la fusion et les provisions non encore réintégrées.

Néanmoins, sur option, l’opération de fusion peut être placée sous un régime spécial en matière d’imposition des bénéfices. Ce régime spécial est réservé aux opérations auxquelles participent exclusivement des sociétés (ou autres personnes morales) passibles de l’IS. Il permet à la société absorbée d’être exonérée d’IS à raison des plus-values nettes et des profits dégagés par l’apport de l’ensemble de ses éléments d’actif à la société absorbante ainsi que des provisions figurant à son bilan lorsqu’elles conservent leur objet.

En contrepartie de ces avantages, la société absorbante doit s’engager dans l’acte de fusion à respecter les prescriptions suivantes (CGI art. 210 A, 3) :

  • reprendre à son passif les provisions dont l’imposition est différée ;
  • calculer les plus-values réalisées ultérieurement à l’occasion de la cession des immobilisations non amortissables apportées d’après leur valeur du point de vue fiscal dans les écritures de l’absorbée ;
  • réintégrer de manière échelonnée dans ses bénéfices imposables les plus-values dégagées lors de l’apport des biens amortissables ;
  • inscrire au bilan les éléments de l’actif circulant à leur valeur fiscale.

Les opérations de dissolution-confusion visées à l’article 1844-5 du code civil ouvrent droit à ce régime spécial, en matière d’IS et d’impôt de distribution (BOFiP-IS-FUS-10-20-10-§ 60-03/06/2020). À cet effet, les engagements prévus par l’article 210 A, 3 du CGI doivent être pris dans l’acte de dissolution qui présente le caractère d’un « acte de fusion » au sens de cet article (CE 20 janvier 2016, n° 376980).

Le Conseil d’État vient de juger que l’obligation de souscrire les engagements prévus à l’article 210 A, 3 du CGI ne souffrait aucune exception (CE 24 juin 2022, n° 450183).

L’affaire

Par un acte notarié du 30 novembre 2006, une SCI a cédé des parcelles à une société civile de construction vente (SCCV), le versement du prix total de la vente étant soumis à une condition suspensive d’obtention du permis de construire par l’acquéreur. Puis, par un acte complémentaire du 26 juillet 2007, les associés de la SCCV se sont engagés, en cas de refus du permis de construire, à vendre l’intégralité de leurs parts sociales à la SCI. Le permis de construire ayant été refusé en août 2009, la SCI a donc racheté, en décembre 2009, l’intégralité des parts sociales de la SCCV.

Par une délibération d’assemblée générale extraordinaire du 4 mai 2011, la SCI a prononcé la dissolution sans liquidation de la SCCV, avec effet rétroactif au 1er janvier 2011. Le transfert du terrain dans le patrimoine de la SCI a eu lieu en juillet 2011, puis le terrain a été cédé en décembre 2011 à une société tierce.

À l’issue d’une vérification de comptabilité de la SCI, l’administration fiscale a remis en cause l’application du régime spécial des fusions à la transmission universelle du patrimoine (TUP), au motif que la société confondue ne relevait pas de l’IS. Elle a donc estimé que la TUP entraînait l’imposition de la plus-value latente sur le terrain. En outre, elle a considéré que la valeur du terrain transmis à l’occasion de la TUP devait être réévaluée.

De leur côté, pour exclure l’application du régime spécial des fusions à la TUP, la cour administrative d’appel de Bordeaux (CAA Bordeaux 31 décembre 2020, n° 18BX01593) suivie du Conseil d’État se sont fondés sur l’absence de souscription des engagements prévus à l’article 210 A, 3 du CGI dans l’acte de dissolution.

Pas de dérogation à la souscription des engagements par la société confondante

La SCI estimait que la souscription des engagements prévus à l’article 210 A, 3 du CGI ne se justifiait pas dans sa situation, dans la mesure où aucune provision ne figurait au passif du bilan de la société confondue et où son actif n’était constitué que d’un seul terrain, par nature non amortissable, et qui n’avait pas, en l’espèce, le caractère d’une immobilisation.

Le Conseil d’État rejette les arguments de la SCI et rappelle que l’application du régime spécial des fusions est subordonnée à la condition que la société absorbante s’engage, dans l’acte de fusion, à respecter les prescriptions énoncées à l’article 210 A, 3 du CGI. Il considère qu’il s’agit d’une formalité substantielle qui ne peut faire l’objet d’aucune dérogation.

En l’espèce, le Conseil d’État juge que, faute d’avoir souscrit l’un des engagements prévus à l’article 210 A, 3 du CGI, la SCI ne peut pas appliquer le régime spécial des fusions à la TUP.

Comme le souligne le rapporteur public dans ses conclusions, « il n’existe en réalité aucune situation dans laquelle aucune des prescriptions prévues à l’article 210 A, 3 du CGI n’aurait un objet, sauf à imaginer une société absorbée qui n’aurait aucun actif, ni immobilisé ni circulant ».

À travers cette décision, le Conseil d’État rappelle le caractère incontournable de la souscription des engagements, quelles que soient les circonstances. Dans une précédente décision, il avait jugé que la société absorbée n’était exonérée de l’IS sur les plus-values de fusion que si la société absorbante prenait, dans l’acte de fusion, tous les engagements énumérés à l’article 210 A, 3 du CGI. En l’espèce, lors de l’apport d’un immeuble bâti, la société absorbante n’avait pris d’engagements que pour la construction, sans souscrire ceux relatifs au terrain (CE 6 mars 1981, n° 15085 sous BOFiP-IS-FUS-10-20-30-§ 110-13/04/2022 et BOFiP-IS-FUS-10-20-40-§
1-03/10/2018).

Soulignons que, s’agissant de la valorisation du terrain, le Conseil d’État juge que, faute d’application du régime spécial des fusions à la TUP, la SCI doit réintégrer dans son bénéfice la plus-value issue de l’apport du terrain, déterminée selon la valeur réelle de celui-ci et non selon sa valeur comptable. En outre, Il valide la méthode d’évaluation employée par l’administration fiscale pour valoriser ce terrain.

Source : CE 24 juin 2022, n° 450183