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Comptabilité irrégulière et gestion déficitaire : un lourd risque pour le gérant

Le dirigeant d’une entreprise en liquidation peut faire l’objet d’une condamnation pécuniaire s’il a commis une faute de gestion. Il en est ainsi en cas d’absence de concordance entre les différents documents comptables de la société ou en cas de poursuite d’une activité déficitaire même si la cessation des paiements n’était pas encore survenue à l’époque des faits.

La responsabilité du dirigeant face au passif de la société

Pour mémoire, lorsque la liquidation judiciaire d’une société fait apparaître une insuffisance d’actif, le dirigeant peut être condamné à prendre en charge tout ou partie du passif s’il a commis une faute de gestion ayant contribué à cette insuffisance d’actif (c. com. art. L. 651-2).

Une comptabilité incohérente qui mène à la condamnation du gérant

Une absence de concordance dans les écritures comptables

Dans une affaire soumise à la Cour de cassation, un expert-comptable d’une SARL refuse d’attester la cohérence et la vraisemblance des comptes sociaux de l’année 2016. Il conteste notamment le montant d’un produit exceptionnel de près de 200 000 € faute de justificatifs adaptés.

En novembre 2017, la SARL est successivement placée en redressement judiciaire puis en liquidation judiciaire.

Le liquidateur sollicite en justice la condamnation du gérant à prendre en charge tout ou partie du passif de la société pour avoir tenu une comptabilité irrégulière. Il soutient, à l’appui de sa demande, une absence de concordance entre les informations contenues dans les liasses fiscales de la SARL et celles figurant sur les comptes sociaux récapitulés par l’administrateur judiciaire.

Des irrégularités insuffisantes selon la cour d’appel

La demande du liquidateur est déboutée en appel.

Les juges relèvent que la SARL tient une comptabilité et établit chaque année ses comptes annuels. Selon eux, ni les différences dans les écritures comptables, ni le défaut de justification du montant du produit exceptionnel ne permettent, à eux seuls, d’établir la tenue d’une comptabilité irrégulière et donc engager la responsabilité du gérant.

Des irrégularités constitutives d’une faute de gestion pour la Cour de cassation

Le liquidateur forme un pourvoi en cassation et la haute juridiction lui donne raison. En effet, dès lors qu’il existe des irrégularités dans la comptabilité de la société, le dirigeant commet une faute de gestion et peut être condamné à supporter le passif de la société.

À noter :

La Cour de cassation a déjà eu l’occasion de retenir la faute du dirigeant pour avoir tenu une comptabilité fictive, incomplète ou irrégulière dans des affaires précédentes (cass. com. 17 juin 2020, n°18-23088 et cass. com. 22 juin 2010, n°09-14214). En outre, de tels agissements peut justifier le prononcé d’une mesure de faillite personnelle (c. com. art. L. 653-5, 6° ; cass. com. 13 mai 2014, n° 13-15898 et cass. com. 20 octobre 2021, n°20-10557).

Une gestion déficitaire qui engage la responsabilité de son auteur

Relaxe du gérant en raison du résultat bénéficiaire

Dans cette même affaire, le liquidateur a reproché également au gérant d’avoir poursuivi une activité déficitaire dès l’année 2014. Pour ce faire, il a invoqué le montant négatif des capitaux propres et l’insuffisance d’actifs circulants au titre des exercices 2014, 2015 et 2016.

Néanmoins, les juges d’appel ont refusé de retenir la responsabilité du gérant au motif que l’exercice 2015 était bénéficiaire et la cessation des paiements avait été seulement fixée au 17 novembre 2017.

Faute de gestion avérée malgré l’absence de cessation des paiements

La décision d’appel a, là encore, été censurée par la Cour de cassation.

En effet, la faute de gestion consistant pour un dirigeant social à poursuivre une exploitation déficitaire n’est pas subordonnée à la constatation d’un état de cessation des paiements de la société antérieur ou concomitant à cette poursuite.

Pour aller plus loin :

« Mémento de la SARL et de l’EURL », RF Web 2022-2, § 396

« Le mémento de la SAS et de la SASU », RF Web 2021-3, § 432

« Le memento de la SA non cotée », RF Web 2021-5, § 517

« Société civile immobilière », RF 2021-3, § 508

Source : Cass. com. 29 juin 2022, n°21-12998