Une fusion ne produit d’effet, d’une part, qu’à compter de la plus récente des dates d’ouverture des exercices de chacune des sociétés absorbante et absorbée et, d’autre part, en l’absence de clôture d’exercice par la société absorbée au cours de l’année civile précédente, qu’à partir du 1er janvier de l’année de conclusion de la fusion.
CE 13 septembre 2021, n° 451564
La rétroactivité des opérations de fusion retenue sur le plan fiscal
La date d’effet des fusions est déterminée par l’article L. 236-4 du code de commerce, selon lequel la fusion prend notamment effet à la date de la dernière assemblée générale ayant approuvé l’opération.
Néanmoins, dans le cadre des fusions-absorptions, les sociétés ont la possibilité de déterminer librement, dans la convention de fusion, la date d’effet de l’opération. Cette liberté de choix n’est pas totale puisque la date retenue doit être comprise dans un intervalle de temps qui va de la date de clôture du dernier exercice clos de la ou des sociétés qui transmettent leur patrimoine à la date de clôture de l’exercice en cours de la société absorbante (c. com. art. L. 236-4, 2°) (voir § 3-3).
Cette rétroactivité des opérations de fusion n’a d’effet qu’entre les sociétés participantes et non vis-à-vis des tiers.
De son côté, le code général des impôts ne contient aucune précision relative aux effets des clauses de rétroactivité des actes de fusion. C’est la jurisprudence qui, à travers une décision du 12 juillet 1974, a posé le principe de la prise en compte, au regard de l’impôt sur les sociétés, des clauses de rétroactivité (CE 12 juillet 1974, n° 81753).
Tirant les conséquences de cette jurisprudence, l’administration fiscale a également admis que l’insertion d’une clause de rétroactivité dans le traité de fusion s’imposait aux parties comme à l’administration en matière d’IS dès lors que le fait générateur de l’imposition des résultats des exercices en cours n’était pas intervenu (date de clôture de l’exercice ou, à défaut, le 31 décembre).
Les sociétés participantes sont donc tenues de prendre en compte toutes les conséquences de la date d’effet pour la détermination de leurs résultats imposables.
Lorsqu’un effet rétroactif est attaché à un contrat d’apport et procède d’une gestion commerciale normale, les conséquences de cette rétroactivité affectent les résultats de l’exercice au cours duquel le contrat est définitivement conclu (BOFiP-IS-FUS-40-10-10-§ 10-12/09/2012).
Effets de la rétroactivité en cas de non-coïncidence des dates d’ouverture des sociétés participantes
Validité de la doctrine administrative
Lorsque les dates d’ouverture des exercices des sociétés absorbante et absorbée en cours lors de la fusion ne coïncident pas, l’administration fiscale a précisé, dans l’hypothèse où la société absorbante a ouvert son exercice après la société absorbée, que la période de rétroactivité devait être comprise entre la date d’ouverture de l’exercice de la société absorbante et la date de la dernière assemblée générale ayant approuvé l’opération (BOFiP-IS-FUS-40-10-20-§ 50-03/10/2018). La société absorbante ne peut donc reprendre dans son résultat que celui de la société absorbée postérieur à la date d’ouverture de son propre exercice.
Lorsqu’il s’avère que la date d’effet rétroactif est antérieure à l’ouverture de l’exercice de la société absorbante au cours duquel l’opération de fusion est approuvée, l’administration fiscale précise que les opérations réalisées par la société absorbée entre la date d’effet conventionnelle et celle de l’ouverture de l’exercice de la société absorbante doivent être imposées au nom de la société absorbée.
La date d’effet rétroactif reste sans influence sur le bilan de clôture de l’exercice précédent de la société absorbante (BOFiP-IS-FUS-40-10-20-§ 110-03/10/2018).
Ces derniers commentaires administratifs ont fait l’objet d’une demande d’abrogation auprès du ministre de l’Économie, des Finances et de la Relance, lequel a refusé. La société à l’initiative de cette demande a alors saisi le Conseil d’État d’un recours pour excès de pouvoir contre cette décision de refus, qui a rejeté, à son tour, cette requête (voir § 3-3).
La société a également demandé l’abrogation des commentaires administratifs qui traitent du cas où la société absorbée n’a clos aucun exercice au cours de l’année civile précédant la fusion (BOFiP-IS-FUS-40-10-20-§§ 80 et 90-03/10/2018) (voir § 3-5).
Date d’effet fixée à la plus récente des dates d’ouverture des exercices des sociétés participantes
Pour juger que les commentaires administratifs visés au paragraphe 3-2 sont conformes aux dispositions de l’article L. 236-4 du code de commerce, le Conseil d’État s’appuie sur les principes issus de sa jurisprudence antérieure (CE 12 juillet 1974, n° 81753 ; CE 26 mai 1993, n° 78156).
Ainsi, lorsque les sociétés absorbées et absorbantes fixent une date d’effet de l’opération de fusion à une date antérieure à celle de la conclusion définitive de la convention de fusion, toutes les conséquences de la fusion doivent être prises en compte, pour la détermination des bénéfices imposables de la société absorbante, dans le bilan de clôture de l’exercice de conclusion définitive du traité de fusion.
La fusion ne saurait produire d’effet sur le bilan de clôture du ou des exercices précédents des sociétés absorbantes et absorbées, et donc sur les bénéfices imposables dégagés par celles-ci au cours de ces exercices.
Néanmoins, la haute juridiction pose pour la première fois pour principe que les effets de la fusion ne sauraient remonter à une date antérieure à la plus récente des dates d’ouverture des exercices des deux sociétés au cours desquels la convention a définitivement été conclue.
Incidences pratiques
Comme le souligne le commissaire du gouvernement dans ses conclusions, il s’avère que lorsque la société absorbée clôture son exercice à une date plus tardive que la société absorbante, la rétroactivité ne peut pas remonter à l’ouverture de l’exercice en cours de la société absorbante dès lors qu’elle est bloquée par l’ouverture (et symétriquement la clôture de l’exercice précédent) de celui de la société absorbée.
Cette analyse est illustrée par l’exemple suivant.
Exemple
Soit une opération de fusion décidée en juin d’une année N, avec effet rétroactif au 1er janvier de l’année N, date d’ouverture de l’exercice de la société absorbante. L’effet de la fusion sera fixé au 1er janvier N si la société absorbée a clôturé avant cette date, mais il sera fixé à la date d’ouverture de l’exercice de l’absorbée au cours duquel la fusion a été conclue si cette date est postérieure au 1er janvier N.
Effets de la fusion en l’absence de clôture de l’absorbée
Conformité de la doctrine administrative sur ce point
Selon la doctrine administrative, lorsque la société absorbée ou apporteuse n’a pas clos d’exercice au cours de l’année civile N-1 précédant celle de l’apport, l’effet rétroactif donné à l’opération ne saurait dispenser la société absorbée de déposer au titre de l’année N-1 la déclaration provisoire de résultats conformément à l’article 37, al. 2 et à l’article 209, I du CGI.
L’effet rétroactif ne peut avoir pour conséquence de dispenser la société absorbée du respect de ses obligations déclaratives au titre de l’année précédant l’opération de fusion (BOFiP-IS-FUS-40-10-20-§ 80-03/10/2018). Il est donc opposable à l’administration dans la limite du 1er janvier de l’année au cours de laquelle l’opération est approuvée (BOFiP-IS-FUS-40-10-20-§ 90-03/10/2018).
Comme pour les commentaires administratifs visés au paragraphe 3-2, la société a saisi d’un recours pour excès de pouvoir le Conseil d’État contre la décision par laquelle le ministre de l’Économie, des Finances et de la Relance a refusé d’abroger la doctrine administrative mentionnée ci-dessus (voir § 3-6).
Date d’effet fixée à compter du 1er janvier de l’année de conclusion de la fusion
Pour rejeter la requête de la société (voir § 3-5), le Conseil d’État se fonde sur les dispositions de l’article 37, al. 2 du CGI selon lesquelles, en l’absence de bilan au cours d’une année, une imposition doit néanmoins être établie au titre des résultats réalisés entre la date de clôture du précédent exercice et le 31 décembre de l’année en cause.
Il considère qu’aucune disposition ne prévoit de dérogation à cette obligation à raison d’événements ou clauses contractuelles postérieurs au 31 décembre de l’année considérée, qu’ils interviennent avant ou après la date de dépôt de la déclaration liée à cette obligation.
La haute juridiction en conclut que l’article 37, al. 2 du CGI fait obstacle à ce que l’effet rétroactif donné conventionnellement à l’opération de fusion puisse, dans le cas particulier, remonter antérieurement au 1er janvier de l’année au cours de laquelle cette opération est conclue.
Source : La Revue Judiciaire – 07/10/2021