Manque à son obligation de vérification de la sincérité de la rémunération du dirigeant le commissaire aux comptes qui n’interpelle pas la société et ne formule pas d’observation sur les comptes, alors qu’aucune décision du conseil d’administration n’a déterminé cette rémunération.
Le président-directeur général d’une société anonyme (SA) s’octroie une augmentation substantielle de rémunération pour l’exercice débutant le 1er avril 2009. Ce n’est que le 1er avril 2010 que le conseil d’administration ratifie cette augmentation et détermine sa rémunération pour l’exercice suivant. Le président est ensuite révoqué, les comptes clos au 31 mars 2011 ayant fait apparaître un déficit qui avait pour origine des malversations commises par lui. Un mois plus tard, le commissaire aux comptes de la société adresse une lettre de révélation au procureur de la République qui donne lieu à l’ouverture d’une enquête pour abus de biens sociaux, à l’issue de laquelle le président est condamné pénalement et civilement.
Estimant que le commissaire aux comptes avait manqué à ses obligations professionnelles en ne l’alertant pas sur ces malversations, la société agit contre lui en réparation de son préjudice. Le commissaire fait valoir que la rémunération du dirigeant avait été validée par le conseil d’administration, qu’il ne lui appartenait pas d’exercer un contrôle permanent des comptes et que, en l’absence d’anomalie apparente, il n’était pas tenu d’approfondir ses investigations en cours d’exercice.
Arguments rejetés et la responsabilité du commissaire aux comptes a été retenue (condamnation à verser des dommages-intérêts à la SA au titre de la perte de chance d’éviter les détournements ayant pris la forme d’une augmentation de la rémunération du président).
Le conseil d’administration d’une SA n’a pas le pouvoir de ratifier la décision du président qui, sans avoir préalablement obtenu une décision du conseil, s’est alloué une augmentation de sa rémunération.
En l’espèce :
- aucune décision du conseil d’administration n’avait déterminé l’augmentation de rémunération du président à compter du 1er avril 2009 ; le quantum de cette augmentation aurait dû conduire le commissaire aux comptes à effectuer des vérifications plus approfondies, d’autant que la rémunération du dirigeant avait déjà été augmentée, certes dans des proportions moindres, au cours des exercices précédents, mais toujours sans aucune décision du conseil d’administration ;
- en dépit de ces circonstances, qui auraient dû aiguiser la vigilance du commissaire aux comptes pour l’exercice suivant, celui-ci n’avait accompli aucune démarche pour se faire communiquer le procès-verbal du conseil d’administration du 1er avril 2010 fixant la rémunération du président pour l’exercice en cours 2010-2011 ou, à tout le moins, pour vérifier la rémunération du dirigeant social au cours de cet exercice.
Ainsi, le commissaire aux comptes avait manqué à son obligation légale de vérification de la sincérité de la rémunération du dirigeant social et commis une négligence fautive, d’un côté, en n’interpellant pas les organes compétents de la société, au cours de l’exercice ayant débuté le 1er avril 2009, et en ne formulant aucune observation ou réserve lors de la certification des comptes de cet exercice et, de l’autre, pour l’exercice suivant, en ne veillant pas suffisamment à s’assurer de la sincérité de l’information relative à la rémunération du dirigeant social et en restant inerte dans l’attente de devoir procéder au seul contrôle sur place des pièces comptables, une fois l’exercice achevé.
A noter :
1o Le conseil d’administration détermine la rémunération de son président (C. com. art. L 225-47, al. 1) mais, comme le rappelle la Haute Juridiction, il n’a pas le pouvoir de ratifier la décision du président qui, sans obtenir préalablement une décision du conseil, s’est alloué une rémunération (Cass. com. 15-12-1987 no 86-13.479 : Bull. civ. IV no 280 ; Cass. com. 30-11-2004 no 01-13.216 F-D : RJDA 4/05 no 407). Dans ce cas, la société peut demander la restitution de la rémunération indûment perçue (Cass. com. 15-12-1987 : Bull. Joly 1988 p. 80 ; Cass. com. 30-11-2004 précité ; CA Paris 19-5-2015 no 14/02087 : RJDA 8-9/15 no 579).
2o Les commissaires aux comptes sont responsables, à l’égard tant de la société que des tiers, des conséquences dommageables résultant des fautes ou des négligences qu’ils commettent dans l’exercice de leurs fonctions (C. com. art. L 822-17, al. 1). Ils sont en principe tenus d’une obligation de moyens (Cass. com. 28-1-1992 no 173 : RJDA 4/92 no 357 ; Cass. com. 28-1-1992 no 173 : RJDA 4/92 no 357 ; CA Paris 13-9-2018 no 16/24867 : RJDA 1/19 no 26) et ce n’est que dans des cas strictement définis que pèse sur eux une obligation de résultat (par exemple, en application de l’article L 225-115, 4o du Code de commerce, pour la certification du montant global des rémunérations perçues par les personnes les mieux rémunérées de la société et du montant global de certains versements).
Ainsi que l’avançait le commissaire aux comptes en l’espèce, il est impossible pour lui de tout contrôler et il ne peut être tenu à l’exhaustivité ; sa mission consiste à effectuer tous les contrôles qu’il estime nécessaires afin d’acquérir un degré raisonnable d’assurance en vérifiant la régularité de la comptabilité, en pratiquant des contrôles par sondages et recoupements, et en poussant plus avant ses investigations en cas de soupçons d’irrégularités (CA Bordeaux 4-11-1997 : Bull. CNCC 1998 p. 203 note Ph. Merle ; CA Versailles 12-5-2011 : Bull. CNCC 2011 p. 568 note Ph. Merle ; CA Paris 13-9-2018 no 16/24867 : RJDA 1/19 no 26).
Si, comme l’indique la Cour de cassation, le commissaire n’avait pas de devoir de contrôle permanent des comptes, les éléments de l’affaire auraient dû le conduire à pousser plus loin ses investigations, ce qui lui aurait permis de déceler les malversations du dirigeant.