Un arrêt récent de la Cour de cassation rappelle la difficulté de mise en jeu de la responsabilité d’un fournisseur de crédit pour « soutien abusif », lorsque le débiteur fait l’objet d’une procédure collective.
Dans l’affaire soumise à l’appréciation de la haute juridiction, une entreprise agricole avait obtenu de sa banque, dans le cadre d’une conciliation, la restructuration de prêts déjà consentis, et l’octroi de deux nouveaux crédits, garantis par le cautionnement solidaire des époux associés, le nantissement de leurs parts sociales et une hypothèque. Un an plus tard, un troisième crédit lui était accordé, destiné à l’acquisition d’un tracteur, en constituant un warrant sur ce bien.
Après l’échec d’une nouvelle procédure de règlement amiable, l’EARL a été mise en redressement judiciaire, et assignée, aux côtés de ses deux associés, sa banque en responsabilité pour soutien abusif, sur le fondement de l’article L. 650-1 du code de commerce, afin d’obtenir l’indemnisation de leurs préjudices et l’annulation des garanties prises au titre des trois prêts.
La Cour d’appel faisait droit à leurs demandes, aux motifs que la banque :
- n’avait pas respecté l’accord de conciliation amiable et octroyé des prêts d’un montant supérieur à celui convenu, au mépris des intérêts des associés de l’EARL, dont la situation financière était particulièrement tendue ;
- qu’elle ait prit de nouvelles garanties au mépris des dispositions du code rural et de la pêche maritime régissant le règlement amiable agricole.
La Haute juridiction casse cet arrêt, jugeant que les motifs retenus par la Cour d’appel étaient « impropres à caractériser, à l’encontre de la banque, une fraude, laquelle s’entend, en matière civile ou commerciale, comme un acte réalisé en utilisant des moyens déloyaux destinés à surprendre un consentement, à obtenir un avantage matériel ou moral indu, ou réalisé avec l’intention d’échapper à l’application d’une loi impérative ou prohibitive, et sans caractériser l’une des deux autres causes de déchéance du principe de non-responsabilité édicté par l’article L. 650-1 du code de commerce que sont l’immixtion caractérisée et l’obtention de garanties disproportionnées » (Cass. com. 13-12-2017 n° 16-21.498 F-D, CRCAM Charente-Maritime Deux-Sèvres c/ P.).
Conformément à l’article L650-1 du Code de commerce, la responsabilité du dispensateur de crédit fautif en cas de procédure collective de son débiteur, ne peut en effet être retenue que dans l’un des trois cas suivants :
- fraude ;
- immixtion caractérisée dans la gestion du débiteur ;
- ou encore si les garanties prises en contrepartie de ces concours sont disproportionnées à ceux-ci.
Cette disposition, instituée par la loi de sauvegarde des entreprises de 2005 visait à encourager les Établissements de crédit à octroyer des concours aux entreprises en difficulté, en clarifiant le cadre juridique de la mise en jeu de la responsabilité des créanciers du fait des concours consentis, limitant d’autant leur risque.
L’application très stricte qu’en fait la jurisprudence, comme l’illustre l’arrêt évoqué ci-dessus, tend à instaurer un régime d’irresponsabilité des créanciers octroyant des crédits, obligeant les entreprises rencontrant des difficultés à d’autant plus de vigilance et de prudence dans l’obtention de nouveaux crédits. Reste pour le débiteur infortuné la possibilité d’invoquer d’autres cas de responsabilité du banquier, telle la violation de son obligation de mise en garde, si les conditions d’engagement de sa responsabilité ne sont pas réunies sur le terrain de l’article L.650-1 du Code de commerce.
Source : https://www.lamy-lexel.com/actualites/detail/les-conditions-strictes-de-la-mise-en-jeu-de-la-responsabilite-pour-soutien-abusif/