Pour l’évaluation des titres non cotés, les entreprises peuvent utiliser soit la méthode par comparaison, soit l’une ou plusieurs des méthodes alternatives. Mais la combinaison des deux n’est pas possible (CE 21 octobre 2016, n°390421).
Evaluation des titres à la valeur vénale
Les opérations portant sur les cessions d’immobilisations financières, notamment les titres, doivent être réalisées à la valeur réelle ou vénale. En effet, l’administration pourrait être amenée à requalifier en acte anormal de gestion une opération de cession de titres à un prix qui ne correspondrait pas à la valeur vénale réelle.
La jurisprudence a été amenée à préciser cette notion de valeur vénale à l’occasion de litiges portant sur la valorisation des titres non cotés en bourse (ou non admis à la négociation sur un marché réglementé) lors d’opérations d’acquisition ou de cession de ces titres. Ainsi, la valeur vénale de titres non cotés en bourse doit être appréciée compte tenu de tous les éléments permettant d’obtenir un chiffre aussi voisin que possible de celui qu’aurait entrainé le jeu normal de l’offre et de la demande à la date où la cession est intervenue (CE 22 mars 1961, n°41687 ; CE 29 décembre 1999, n°171859 ; CE 14 novembre 20023, n°229446 ; CE 10 décembre 2014, n°371422).
Signalons que la jurisprudence de la Cour de cassation retient une définition similaire de la notion de valeur vénale (cass. Com. 7 juillet 2009, n°08-14855).
Afin de déterminer la valeur vénale des titres non cotés, les sociétés peuvent recourir à un ensemble de méthodes d’évaluation. A cet égard, la jurisprudence du Conseil d’Etat estime que l’évaluation doit se faire en priorité par référence au prix fixé lors d’une autre transaction comparable.
Prééminence de la méthode par comparaison
La jurisprudence accorde la priorité à l’évaluation des titres non cotés par comparaison avec d’autres transactions. Ce n’est qu’en l’absence de transaction équivalente que d’autres méthodes d’évaluation peuvent être utilisées.
A cet égard, une proposition de rachat de titres qui n’aboutit pas à une cession effective ne saurait constituer une transaction susceptible de servir de terme de comparaison (CE 23 juillet 2010, n°308021).
En principe, la méthode d’évaluation par comparaison ne concerne que des transactions portant sur des titres d’une même société (CE 25 juin 1975, n°92185 et 92186 ; CE 10 novembre 2010, n°309148). Toutefois, la jurisprudence admet la prise en compte de transactions réalisées à raison de titres d’une autre société, à condition qu’elles présentent des caractéristiques semblables à celles de la société dont les titres sont cédés. Mais le prix d’une transaction portant sur les titres d’une société exerçant une activité différente dans le même secteur ne peut pas être pris en compte (Ce 29 décembre 1999, n°171859).
Par ailleurs, les transactions servant de terme de comparaison doivent avoir lieu approximativement à la même époque (CE 14 juin 1978, n°9403), ou à une date très proche de la cession (CE 21 novembre 1979, n°7512). Elles peuvent être antérieures de quelques mois (CE 6 juin 1984, n°35415 et 36733), mais aussi postérieures (CE 25 juin 1975, n°92185 et 92186).
En revanche, un écart de cinq ans entre deux transactions ainsi que la composition de l’actif de la société cédée (des biens immobiliers dont la valeur a évolué pendant cette période) font que les transactions ne sont pas considérées comme équivalentes (CAA Versailles 29 mars 2016, n°14VE00248).
En outre, les circonstances propres à la transaction doivent être comparables, notamment porter sur une quantité de titres semblables (CE 6 juin 1984, n°35415 et 36733) ou des conditions similaires pour le règlement du prix convenu (CE 10 novembre 2010, n°309148).
L’approche retenue par la jurisprudence pour déterminer la valeur vénale se distingue de celle des praticiens qui privilégient le cours à la méthode des flux de trésorerie futurs actualisés (méthode DCF). Quant à l’administration, elle préconise de combiner plusieurs méthodes et de compléter la valeur par comparaison avec d’autres approches.
A défaut de méthode par comparaison, utilisation de méthodes alternatives
A défaut de transaction similaire pouvant se servir de référence, la jurisprudence admet l’utilisation de toute méthode d’évaluation, pourvu qu’elle permette d’obtenir un chiffre aussi voisin que possible de celui qu’aurait entrainé le jeu normal de l’offre et de la demande à la date où la cession est intervenue.
Les entreprises peuvent utiliser la méthode d’évaluation par la valeur mathématique des titres (CE 2 décembre 1977, n°1247). Cependant, les résultats obtenus par le recours à cette méthode doivent, dans la plupart des cas, être corrigés pour tenir compte notamment des perspectives de la société (CE 9 juillet 1980, n°12050).
Par ailleurs, la jurisprudence admet le recours à des méthodes d’évaluation qui se fondent sur la rentabilité et la productivité de l’entreprise, telles que, par exemple, la méthode fondée sur l’application d’un coefficient multiplicateur à l’Ebitda (CAA Versailles 2 décembre 2014, n°12VE01924) ou encore la méthode conduisant à l’utilisation d’un taux de capitalisation (CE 14 novembre 2003, n°229446).
Le recours à l’une de ces méthodes n’exclut pas l’emploi d’une autre. Dans la plupart des cas, ces méthodes de rendement sont combinées avec la méthode d’évaluation par référence à la valeur mathématique (CE 23 juillet 2010, n°308021).
Récemment, le Conseil d’Etat a mis une limite à l’utilisation combinée de ses différentes méthodes d’évaluation (CE 21 octobre 2016, n°390421).
Limite à l’utilisation combinée des méthodes d’évaluation
En mars 2006, une SARL a acquis l’intégralité des titres d’une société anonyme. Ces titres ont été acquis à hauteur de :
- 48% du capital auprès d’un des associés au prix unitaire de 66,09€ ;
- Environ 50% du capital auprès d’autres associés au prix unitaire de 300€ ;
- Et le solde, soit environ 2% du capital auprès d’un autre associé au prix unitaire de 24,81€.
Lors d’une vérification de comptabilité, l’administration fiscale a estimé que le prix d’acquisition de 66,09€ retenu par la SARL pour acquérir les actions de la SA auprès de l’un de ces associés a été délibérément minoré pour dissimuler une libéralité consentie par le vendeur à l’acquéreur. Aussi, l’administration a corrigé la valeur d’enregistrement de l’immobilisation à l’actif de la SARL pour y substituer sa valeur vénale, et a rehaussé le bénéfice imposable de la société à hauteur de la variation d’actif net résultant de cette correction.
Cette position est validée par la Cour administrative d’appel de Nancy (CAA Nancy 26 mars 2015, n°14C00040).
Le Conseil d’Etat casse l’arrêt de la cour administrative d’appel de Nancy et rappelle les principes dégagés par sa jurisprudence antérieure, à savoir :
- La valeur vénale réelle de titres non cotés en bourse sur un marché réglementé doit être appréciée selon les modalités rappelées ci-dessus ;
- L’évaluation la plus satisfaisante de cette valeur vénale est celle qui est faite par comparaison avec d’autres transactions portant sur des titres de la société, réalisées à la même époque ;
- A défaut de transactions intervenues dans des conditions équivalentes, l’administration peut se fonder sur l’une des méthodes destinées à déterminer la valeur de l’actif par capitalisation des bénéfices ou d’une fraction du chiffre d’affaires annuel, ou sur la combinaison de plusieurs de ces méthodes, c’est-à-dire non seulement celle de la valeur mathématique mais aussi d’autres méthodes d’évaluation.
Cependant, la Haute assemblée considère que l’administration doit utiliser soit la méthode par comparaison, soit l’une ou plusieurs des méthodes alternatives. Elle n’admet pas que l’administration procède par combinaison entre la méthode par comparaison et l’une ou plusieurs des méthodes alternatives.
En l’espère, pour remettre en cause le prix d’acquisition des titres retenu par la SARL pour acquérir les actions de la SA auprès de l’un de ses associés, l’administration a procédé à une combinaison entre, d’une part, la valeur obtenue par la méthode des transactions comparables et, d’autre part, la moyenne arithmétique de la valeur obtenue par la méthode mathématique et la valeur de rentabilité des titres.
La méthode par comparaison a l’avantage de se fonder sur des éléments factuels, ce qui n’est pas le cas d’autres méthodes fondées sur des perspectives (DCF) ou sur des données historiques (valeur mathématique).
Une approche de la valorisation différente de celle retenue par l’administration
L’administration a publié, fin 2006, un guide pour l’évaluation des entreprises et des sociétés qui recense les différentes méthodes d’évaluation et qui est destiné ainsi à apporter une plus grande sécurité juridique aux contribuables.
Néanmoins, ce guide est revêtu d’une ambiguïté car il n’a, selon la jurisprudence, aucune valeur juridique. En effet, il ne constitue pas une interprétation formelle de la loi fiscale dont les contribuables peuvent se prévaloir sur le fondement de l’article L.80A du livre des procédures fiscales (CE 16 octobre 2013, n°329420). En revanche, ce guide est souvent considéré par les vérificateurs comme une « bible ».
Par ailleurs, contrairement à la décision du 21 octobre 2016 du Conseil d’Etat, l’administration préconise de combiner les méthodes d’évaluation des titres non cotés et de compléter la valeur par comparaison avec d’autres approches. Cette recommandation est donc différente de la solution retenue par le Conseil d’Etat.
Source :
Revue Fiduciaire – FH 3669 (1er décembre 2016)